Il nous reste sept ans pour inverser la courbe des émissions de CO2'

Rajendra Pachauri préside depuis 2002 le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) dont les rapports ont posé scientifiquement la réalité du changement climatique. Rencontre. A ce titre, cet ingénieur et économiste indien de 67 ans a reçu le prix Nobel de la paix 2007, conjointement avec l'ancien vice-président américain Al Gore. Invité à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) au Conseil informel des ministres de l'environnement et de l'énergie de l'Union européenne, il a appelé les Vingt-Sept, vendredi 4 juillet, à tenir l'engagement de réduire d'au moins 20% leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020. Citant Gandhi, il a exhorté les Européens à être en pointe dans la lutte contre le réchauffement : Si vous voulez que le monde change, a-t-il lancé aux ministres, vous devez incarner ce changement.

Le Monde : Six mois se sont écoulés depuis la conférence de Bali. Les négociations en vue d'aboutir à un accord international sur l'après-Kyoto avancent-elles ?

Rajendra Pachauri : Il ne s'est pas passé grand-chose et c'est inquiétant. Il reste peu de temps avant le sommet de Copenhague en décembre 2009 même si, dans ce genre de négociations, c'est toujours un peu pareil : chacun observe l'autre et attend le dernier moment. Cela conduit à s'entendre dans le meilleur des cas sur des compromis alors que, cette fois-ci, nous avons besoin d'un accord solide et ambitieux. Pour contenir la hausse des températures en deçà de 2 °C-2,4 °C, qui est selon nos travaux la ligne à ne pas franchir pour ne pas se mettre gravement en danger, il ne nous reste que sept ans pour inverser la courbe mondiale des émissions de gaz à effet de serre. C'est très peu.

Le Monde : Quel rôle peut jouer l'Europe ?

Rajendra Pachauri : L'Europe a un rôle essentiel à jouer, elle doit continuer à montrer le chemin comme elle a commencé de le faire. Si elle ne prend pas la décision d'être la première grande région à réduire volontairement ses rejets de dioxyde de carbone, il est vain d'espérer un accord international. Jamais les Etats-Unis ou la Chine ne monteront dans le train.

Le Monde : Peut-on voir dans la crise alimentaire qui frappe les pays pauvres une manifestation du dérèglement climatique ?

Rajendra Pachauri : La crise actuelle a de multiples causes, en particulier l'augmentation de la population, le changement d'habitudes alimentaires dans certains pays - comme l'augmentation de la consommation de viande - ou encore le fait que les stocks de certaines denrées n'ont pas été entretenus. Mais il est sûr que si les températures continuent d'augmenter, les pénuries alimentaires s'aggraveront. Nous avons calculé que les rendements agricoles pourraient chuter de moitié dans certains pays d'Afrique d'ici à 2020.

Le Monde : Que pensez-vous des doutes exprimés par certains sur la réalité du changement climatique ?

Rajendra Pachauri : Ils sont marginaux et reflètent le plus souvent des intérêts particuliers qui redoutent d'être pénalisés par la transition à une économie décarbonée. Mais, objectivement, il n'y a plus de place pour le doute. La science a apporté tellement de preuves. Nous n'avons plus besoin d'aucune démonstration pour savoir sur une base scientifique que le réchauffement climatique est en cours et que l'essentiel de ce réchauffement est le fait des activités humaines. Mais il restera toujours des gens pour le contester. Il existe encore une Société de la Terre plate, dont les membres continuent et continueront encore pendant des siècles de nier la rotondité de la Terre...

Le Monde : Les objectifs généralement affichés sont de conserver le niveau de dioxyde de carbone (CO2) en deçà de 450 à 550 parties par million (ppm). Mais de récents travaux indiquent qu'il faudrait demeurer en deçà de 350 ppm, un niveau qui est déjà dépassé...

Rajendra Pachauri : Le GIEC ne donne pas de conseils, il se contente de donner une évaluation des différents scénarios. Ensuite, c'est à la communauté internationale de décider. La considération principale est que nous devons stabiliser le niveau de gaz à effet de serre à un niveau qui soit en deçà du niveau d'interférence humaine dangereuse avec le climat. Comment définir ce qui est dangereux ? Et plus important : dangereux pour qui ? Pour certains petits Etats insulaires, le niveau actuel est sans doute déjà dangereux. J'étais récemment en Nouvelle-Zélande où j'ai rencontré le président des îles Kiribati (Anote Tong), dont le pays sera submergé avant la fin du siècle. Il est bien conscient du fait que, pour les habitants de son pays, qui devront partir, le niveau de danger est déjà dépassé. La communauté internationale ne peut pas décider de ce qui est dangereux sur la foi d'une moyenne : il n'y a pas de moyenne dans le danger représenté par le changement climatique.

Laurence Caramel & Stéphane Foucart Le Monde (France)Le 07-09-2008

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